Les Républicains ne se cédant pas aux quatre volontés des grandes entreprises (Big Business) semblent avoir touché le gros lot.
Le mois dernier, elles ont perdu lors des primaires en Virginie. En effet, le leader de la Chambre des Représentants (Chambre) Eric Cantor a perdu contre David Brat, un inconnu chouchou du Tea Party. Ce dernier a critiqué Cantor pour ses liens avec le monde des affaires et a promis ceci : « Je vais me battre pour mettre fin au capitalisme de copinage (crony capitalism) qui n’avantage que les riches et puissants. »
Toutefois, ailleurs au pays, les grandes entreprises investissent un effort surprenant pour tenter de défaire les rares politiciens aux tendances libertariennes, tant au Congrès que dans les législatures étatiques. Pourquoi, par exemple, ont-elles dépensé autant d’argent pour défaire un législateur géorgien républicain en mai? Il semble que le représentant Charles Gregory était simplement trop libertarien pour la Chambre de commerce de Géorgie et pour des compagnies comme Coca-Cola, Delta Airlines, Georgia Power and AT&T. Elles ont soudainement mise sur pied la « Georgia Coalition for Job Growth » ( GCJG, Coalition géorgienne pour l’emploi) pour s’opposer à Gregory et aux autres législateurs appartenant au Tea Party.
Ce n’est pas le seul exemple de la saison des primaires. Au Kentucky, des hommes d’affaires ont mis beaucoup de pression (ultimement sans succès) pour que Steve Stevens, président de la Chambre de commerce du nord du Kentucky, se lance dans une course contre le représentant Thomas Massie. Lui-même homme d’affaires, Massie est fortement conservateur du côté fiscal, mais certains de ses pairs n’aiment pas son approche non interventionniste.
Un consultant d’affaire de Washington est récemment déménagé dans le nord de la Californie pour s’opposer au représentant Tom McClintock, qui s’oppose aux earmarks[1]. « Les représentants doivent livrer la marchandise pour leurs électeurs à la maison », a-t-il dit à un journaliste.
Et c’est tout. Ce n’est pas le mariage de même sexe ni la politique étrangère qui semble déranger les grandes entreprises aux contacts politiques stratégiques. Elles en ont simplement contre ces législateurs libertariens qui ne jouent pas leur jeu, qui ne vont pas chercher leur part du gâteau et qui prennent vraiment au sérieux cette idée d’un gouvernement limité. La plupart des Républicains ne font que prétendre accepter cette idée.
Au Michigan, des gens d’affaires financent la campagne du consultant financier Brian Ellis contre le représentant Justin Amash. Depuis l’élection de ce dernier en 2010 au faîte de la vague du Tea Party, il est devenu le représentant le plus libertarien de la Chambre. Il se classe tout juste derrière McClintock, dans un classement tenu par la National Taxpayer Union, quant à ses positions dans les projets de dépense. Il a pu organiser un support bipartisan pour tenter de contrôler la National Security Agency (NSA) – le projet ne manquait que quelques vote à la Chambre pour passer. Il préside aussi le Liberty Caucus en Chambre. Amash a déjà déclaré au New York Times : « Je suis guidé par des principes; je suis la Constitution. C’est d’ailleurs ainsi que je vote : pour un gouvernement limité ainsi que des libertés individuelles et économiques. »
Pourquoi donc des hommes d’affaires de Grand Rapids ont-ils si peu de fierté pour un jeune représentant aussi admiré? Ils disent qu’ils veulent un représentant qui travaillera pour « faire avancer les choses. » Andrew Johnston, le directeur politique de la Chambre de commerce de Grand Rapids, a déclaré ceci au Wall Street Journal : « Plusieurs se sentent frustrés à cause de sa rigidité qui empêche l’avancement des projets de loi. » Il a promis qu’Ellis « aura accès à des fonds qui profiteront à sa campagne. »
Il n’y a pas que les hommes d’affaires locaux. Des lobbyistes de Washington se rangent derrière Ellis, qui a également utilisé 400 000 $ de son propre argent dans sa campagne. Les fonds consistent surtout de prêts, qui pourront être remboursés par plus de contributions de lobbyistes s’il gagne sa course.
Dans une entrevue au Weekly Standard, Ellis a rejeté du revers de la main la position de principe pour la constitution d’Amash. « Il explique pourquoi il vote de telle façon, mais ça m’importe peu. Je suis un homme d’affaires, je ne m’intéresse qu’aux résultats. S’il y a quelque chose d’anticonstitutionnel, on a un système judiciaire qui s’en occupera. »
La majorité des congressistes votent des lois anticonstitutionnelles, bien que peu d’entre eux en fassent une promesse aussi explicite.
Comme tout politicien aux tendances libertariennes, Amash a des ennemis, mais aussi des alliés dans le monde des affaires. Plusieurs membres des familles DeVos et Andel, fondactrices d’Amway, ont contribué à sa réélection. Amash demeure populaire parmi les groupes nationaux prônant l’économie de marché.
« Il est la norme de référence des principes constitutionnels au Congrès, a affirmé Dean Clancy, ancien vice-président aux politiques publiques à FreedomWorks, au journal The Hill. On a eu vent que l’establishment de K Street[2] veut le mettre KO; nous avons la ferme intention de répliquer à chaque coup. »
Parallèlement, les questions économiques étaient ce qui a amené les gros canons du monde des affaires d’Atlanta à se liguer contre le représentant Gregory, un grand partisan de l’ancien candidat présidentiel Ron Paul. Il n’essayait pas de légaliser les drogues ni de rapatrier les soldats d’Afghanistan. Rien de tout ça : les pubs et les sites Internet dirigés par la GCJG l’accusaient de voter contre les dépenses en éducation et contre une mesure intrusive qui obligeait les demandeurs de food stamps[3] de passer un test de dépistage de drogue.
Le vrai est problème est probablement qu’il n’embarquait pas dans les projets de type assiette au beurre qui profitent aux entreprises tel qu’un déménagement, payé à même les fonds publics, des Braves d’Atlanta (baseball) dans le comté de Cobb. Un lobbyiste impliqué dans cette campagne a affirmé au Atlanta Journal-Constitution : « Nous ne laisserons pas les Républicains libertariens réécrire l’agenda du Parti républicain. »
Il semble peu probable qu’un défenseur de l’économie de marché comme Gregory veuille « réécrire l’agenda. » Par contre, il pourrait tenter de persuader le Parti Républicain d’arrêter les subventions et les ententes de faveur pour des entreprises de 700 M$ comme les Braves.
Cet affrontement entre les libertariens partisan de l’économie de marché et les hommes d’affaires avec un penchant politique ne date pas d’hier. Adam Smith a écrit La richesse des nations pour dénoncer le mercantilisme, le capitalisme de copinage de son temps. Milton Friedman, de son côté, a écrit : « Il y a cette fausse idée voulant que les gens en faveur de l’économie de marché sont également en faveur de tout ce que font les grandes entreprises. Or, il n’en est rien. »
T.J. Rodgers, le volubile PDG de Cypress Semiconductor, s’inquiète de l’influence corruptrice entre les entreprises et l’establishment républicain. « Le monde politique de Washington est complètement opposé aux valeurs qui font notre succès sur les marchés internationaux. Il risque de transformer les entrepreneurs en hommes d’affaires étatistes… Les Républicains se réclament de l’économie de marché, mais ils ont montré [sous Bush] qu’ils sont aussi dépensiers que les Démocrates. »
C’est ce que les libertariens tentent de changer, et les hommes d’affaires qui tentent d’épurer les politiciens aux tendances libertariennes ne font que confirmer leurs craintes.
David Boaz est le vice-président exécutif de l’Institut Cato. Il est l’auteur d’ouvrages tel que Libertarianism: A Primer et coéditeur du Cato Handbook From Policymakers. Ses articles ont été publiés dans le Wall Street Journal, le Washington Post, le Los Angeles Times, National Review et Slate.
[1] Fonds spécial, inclus dans un projet de loi, qui paie un projet et s’assure du soutien du politicien du district touché pour ledit projet de loi.
[2] Où se trouvent la plupart des firmes de lobbying à Washington
[3] Carte de débit que les gens les plus pauvres reçoivent pour payer leurs emplettes.
Traduit par Pierre-Guy Veer. Le texte original se trouve ici.